Il y avait trop d'hommes, qui jugeaient qu'il suffisait d'un H muet et de quatre petites lettres pour faire un homme. Trop de femmes, qui s'imaginaient qu'il suffisait d'être femme, pour être femme. C'était le temps du grand malentendu, où chacun prétendait savoir plus long qu'il n'en disait, et camouflait son véritable visage, derrière moustaches, silences ou sourires. Les grands avaient des complexes d'infériorité, les petits des complexes de grandeur, et les moyens hésitaient, suivant les changements de lune, entre l'un et l'autre. A l'école on apprenait aux enfants, que rien ne sert de courir il faut partir à point, au cours du matin ; le soir, il était question des voyages qui forment la jeunesse, et le premier qui s'avisait d'emboîter le pas, d'un clin d'oeil, à un papillon, se voyait semoncé, puni, et retenu, parce que... pierre qui roule n'amasse pas mousse.

C'était la saison des grandes déconvenues, où chaque génération s'empressait de rejeter sur la moisson future, l'édification d'un monde respirable. Un et un ne faisaient plus deux, et bien audacieux et téméraires ceux qui prétendaient en public, qu'une goutte de sang équivaut toujours à une goutte de sang. L'homme à tête de croix, traquait l'homme à coeur d'enfant. Seules les statues et les sépultures avaient droit à un peu de respect.

Et c'en était tellement ridicule, que malgré tant d'horribles méfaits qui dégoulinaient du calendrier, je partais parfois d'un grand éclat de rire, poursuivi par la meute scandalisée, qui jetait à mes trousses ses gardiens de la paix et ses cabots gavés à la brioche, En criant à tous les vents... Au voleur..., au voleur.... Arrêtez-le.

Jean-Pierre Rosnay
In "Le treizième apôtre"
Gallimard, 1954