Et moi qui m'étais cru poète,
je ne savais pas trouver les mots pour appeler le soleil. Je lui disais :
Soleil ! sors de ton trou,
casse le couvercle,
frappe les brouillards,
mange la nuit, dissous le noir, montre-toi,
montre-nous le monde,
montre-nous au monde,
parle, Soleil, sors de ton trou,
parle, montre que tu es, montre qui tu es !

C'était trop maladroit. Je jetais du bois au feu et j'essayais un autre ton.
Sors donc de là, si tu peux !
Montre-toi, si tu l'oses !
Mais tu as bien trop peur de l'ombre,
tu crèves de peur dans ton trou, petit trou toi-même, petite absence ronde!

Je n'avais pas plus de succès. Après avoir donné au feu quelques planches d'une vieille armoire, je reprenais:
Viens, Soleil, la table est servie pour toi.
Tous les arbres, toutes les herbes,
toudes les bêtes et tous les hommes,
toutes les mers et tous les fleuves
attendent que tu viennes les saisir de tes bras brûlants,
les élever jusqu'à ta gueule, dévorante bouche du ciel ;
viens boire et manger,
la table est servie de l'Est à l'Ouest.

C'était aussi peu efficace. Bientôt, il n'y eut plus rien à brûler dans la salle. J'allai chercher la literie qui était dans la soupente et la donnai peu à peu aux flammes.
Soleil,
toi le plus vieux, toi le plus jeune,
toi le plus sage et le plus fou,
toi qui n'es jamais diminué, jamais partagé,
toujours seul, et pourtant contenu tout entier dans chaque oeil vivant,
toi le plus grand qui peux emplir l'espace,
toi le plus petit, qui passes par le trou d'une aiguille,
toi le plus libre, que rien n'atteint, mais aussi le plus enchaîné à la loi,
toi
qui ne peux pas
ne pas te lever tout à l'heure

 

 

 

René Daumal