LA RUE RAVIGNAN

Importuner mon fils
A l'heure où tout repose
Pour contempler un mal dont toi-même souris
L'incendie est comme une rose
Ouverte sur la queue d'un paon gris
Je vous dois tout
Mes douleurs et mes joies
J'ai tant pleuré pour être pardonné
Cassez le tourniquet où je suis mis en cage
Adieu barreaux
Nous partons vers le Nil
Nous profitons d'un sultan en voyage
Et des villas bâties avec du fil
L'orange et le citron tapisseraient la trame
Et les galériens ont des turbans au front
Je suis mourant
Mon souffle est sur les cimes
Des émigrants j'écoute les chansons
Port de Marseille
Ohé la jolie ville
Les jolies filles et les beaux amoureux
Chacun ici est chaussé d'espadrilles
La Tour de Pise et le marchand d'oignon

Je te regrette O ma rue Ravignan
De tes hauteurs qu'on appelle antipodes
Sur des pipeaux m'ont enseigné l'amour
Douces bergères et leurs riches atours
Venues ici pour nous montrer les modes
L'une était folle
Elle avait une bique
avec des fleurs sur ses cornes de paon
L'autre pour les refrains de nos fêtes bachiques
La vague et pure voix qu'eût rêvée Malibran
L'impasse de Guelma a ses corregidors
Et la rue Caulaincourt ses marchands de tableaux
Mais la rue Ravignan est celle que j'adore
Pour les coeurs enlacés de ses porte-drapeaux
Là taillant des dessins dans les perles que j'aime
Mes défauts les plus grands furent ceux de mes poèmes


Max Jacob

La rue Ravignan

Extrait de
"Le laboratoire central
"
Poésie/Gallimard.