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Les chants de
Maldoror
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Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: "Lorsque tu seras
dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne,
cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils
font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le
reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je
te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle,
qui est assez sublime." Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte.
Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini... Je ne puis,
je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme,
d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne... je croyais
être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi,
si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être
plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des
tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais
pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous
de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore
vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre,
pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant
les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus
souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur.
Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits
orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des
tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre
ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui
remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les
yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un
sourire de haine puissante, a mise sur moi.
Les chants de Maldoror
Isidore Ducasse,
Comte de Lautréamont
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