Un article de Jean-Pierre Rosnay, fondateur du Club des Poètes.

Grandeur et Misère de la Poésie
Les plumes que tiendront les mains de l'avenir décriront vraisemblablement cette fin du vingtième siècle, comme une étape décisive de l'aventure humaine. Souvenez-vous, c'était hier, sur vos écrans de télévision, les premiers pas de l'homme sur la lune, en direct, comme si vous y étiez - cette danse de l'ours, ces messages que vous entendiez plus clairement que la plupart de vos correspondants au téléphone - notre puissance nous apparaît sans limites. Comme l'écrivait si bellement Aragon:"j'ai vécu le jour des merveilles -vous et moi souvenez-vous en- et j'ai franchi le mur des ans- des miracles plein les oreilles ". Des miracles, nous en vivons tous les jours, à chaque moment. Ils sont devenus la routine. Et pourtant... et pourtant ce siècle fut aussi l'occasion et le complice du plus monstrueux des holocaustes.

Et j'en dirais, et j'en dirais... de ces interminables guerres qui ont souillé et souillent encore ce siècle, où une science fabuleusement avancée, mais dévoyée, a mis son potentiel d'ingéniosité aux ordres et au service de la mort. Ce n'est sans doute pas un hasard si dans le même temps, les écrivains et en particulier les poètes, sont traités systématiquement en suspects (à la première occasion), victimes désignées de la vindicte des pouvoirs totalitaires. Souvenez-vous de la chasse aux intellectuels au Chili et de André Siniavski, qui fut jeté dans les geôles de la première terre où le socialisme, porteur de tant d'espoirs, a pris pied, et dont Le Verglas remarquablement traduit par Sonia Lescaut est certainement l'un des sommets de la littérature contemporaine. Souvenez-vous, c'était il y a à peine trente ans, ces trains où des hommes casqués et vêtus de vert entassaient à coups de crosse femmes et enfants, dans des wagons plombés, puis les jetaient vivants dans les flammes de fours conçus scientifiquement à cette fin.

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