Robert Desnos, un inédit.
(offert par Youki Desnos à Jean-Pierre Rosnay)

A la dame si reine
Est le cabaret où je suis attablé ce soir
Parmi des tables vides et nues comme des tombeaux
Les garçons ont fait grande toilette
Ils s'affairent autour des chaises sans occupant.
Dans leur costume de corbeaux

Ils ont l'air de célébrer le mariage
de la solitude et de la nuit
Et moi j'attends.
Parfois le téléphone résonne et nul ne va répondre
Et peut-être est-elle au bout du fil, loin d'ici, à m'appeler,
Mais nul ne répond et je ne sais quelle force m'interdit d'aller
prendre l'appareil et de dire
«C'est moi. L'alcool brille dans les bouteilles
Viens, viens vite
Nous boirons toute la nuit si tu le désires
Si tu veux dormir tu dormiras dans mes bras
En attendant le matin de cristal et le drap mouillé
Qui tombe comme une vague sur la ville».


Là-bas la maison est vide
Je cours de chambre en chambre en appelant
Je pleure sur ton oreiller
Je sanglote en disant ton nom
Car nulle année passant après une autre année
Ne pourra distraire ma pensée de ta pensée
Mon désir de ton désir et ma bouche de ta bouche
Les draps se saliront sans être froissés
Sur le lit où tu aimais dormir
Et je crève d'être seul et d'appeler et d'imaginer
Les larves immondes que le destin
A dressées sur notre chemin.