Ce " hélas " de l'auteur des Nourritures Terrestres, des Caves du Vatican, des Faux Monnayeurs, et de la fâcheusement célèbre formule : " Familles, je vous hais!", me parut vulgaire et iconoclaste. Les faits vérifièrent d'ailleurs, depuis le décès d'André Gide, que "la mort tua Gide", dont les nouvelles générations ne semblent pas très friandes, alors que la postérité de Victor Hugo se porte bien depuis ce 22 mai 1885 où le peuple de France, en larmes, le conduisit au Panthéon. Huysmans, qui écrivit qu'il ne trouvait guère Hugo meilleur "comme poète de l'amour que comme poète social ", et Lanson qui, lui, le jugeait niais, eussent sans doute gagné à moucher leur chandelle. Les fléchettes, même les plus acérées, adressées à un tel géant, sont dérisoires. Au-delà même du vaste et protéiforme génie de Victor Hugo, nous lui devons les bases d'un humanisme et d'une fraternité, concrètement vécus de jour en jour, d'oeuvre en oeuvre. Quant à son apport sur le plan des choses de l'art, de la poésie en particulier, voici ce que Baudelaire, qui auprès des "élites" jouit souvent d'une meilleure réputation que Hugo, écrivit :
Quand on se figure ce qu'était la poésie française avant que Victor Hugo apparût et quel rajeunissement elle a subi depuis qu'il est venu; quand on imagine ce peu qu'elle eût été s'il n'était pas venu, combien de sentiments mystérieux et profonds qui ont été exprimés, seraient restés muets; combien d'intelligences il a accouchées, combien d'hommes qui ont rayonné par lui seraient restés obscurs; il est impossible de ne pas le considérer comme un de ces esprits rares et providentiels, qui opèrent, dans l'ordre littéraire, le salut de tous...
Charles Baudelaire