PHOTOGRAPHIE D’APRES LA TEMPETE

Quand l’eau maritime est venue jusqu’à nous, quand sont passés les rouleaux blancs des vagues ocres, nous sommes dans le bateau, aussi marécageux que l’embouchure du fleuve.
Dans notre maison sur pilotis trois poulets se reposent, en attendant de finir accompagnés du sac de piments verts posé sous deux pieds nus, un peu plus loin. A côté, un vélo profite de l’élément marin sur lequel ses roues n’ont pas prise, avant d’accueillir des pieds menus. Ceux, peut-être, du petit garçon ébouriffé au polo bleu qui, ayant mal digéré les débuts de notre expédition, regrette d’avoir pris ce matin un petit-déjeuner trop copieux.
Il partage, sans trop s’en soucier, son repas avec les poissons. Plus loin, vers l’avant du pont, derrière un sac de riz, la jeune fille qui riait tant tout à l’heure, tout étonnée qu’elle était de voir un blanc s’embarquer pour ces contrées lointaines, est accoudée à la rembarde, mais c’est avec mauvaise volonté qu’elle contribue au bonheur de la faune maritime. L’égoïsme est une chose universelle.
Plus romantique, son frère se parfume, car il est bien connu qu’il faut sentir bon pour élever de gros poulets. Quant au capitaine, il tient, impavide, le gouvernail, soucieux qu’il est de sa délicate cargaison.
« Selamat jalon » lance en guise d’adieu ce qui reste à celui qui prend la route, qui répond « selamat tinggol ».

Julien Mannoni