Bon conseil aux amants
L'Amour fût de tous temps un bien rude Hananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué, Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute, On met le naturel de côté. Bête brute, On se fait ange. On est le nain Micromégas. Surtout on ne fait pas chez elle de dégâts. On s'assied, on attend, jamais l'on ne s'ennuie. On trouve bon le givre, et la bise, et la pluie. On doit dire : j'ai chaud ! quand même on est transi. Un coup de dents de trop vous perd. Oyez ceci : Un brave ogre des bois, natif de Moscovie, Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut. L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue, Se présente au palais de la fée, et salue, Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky. La fée avait un fils, on ne sait pas de qui
Elle était, ce jour-là, sortie, et quand au
mioche, Bel enfant blond, nourri de crème et de brioche, Don
fait par quelque Ulysse à cette Calypso, Il était sous la
porte et jouait au cerceau. On laissa l'ogre et lui tout seuls dans
l'antichambre. Comment passer le temps, quand il neige, en
Décembre, Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ? L'ogre
se mit alors à croquer le marmot. C'est très simple. Pourtant
c'est aller un peu vite, Même lorsqu'on est ogre et qu'on est
moscovite, Que de gober ainsi les mioches du prochain. Le bâillement
d'un ogre est frère de la faim. Quand la dame rentra, plus d'enfant
; on s'informe. La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme
: As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ? Le bon ogre
naif lui dit : Je l'ai mangé. Or c'était maladroit.
Vous qui cherchez à plaire, Ne mangez pas l'enfant dont vous aimez
la mère.
Victor
Hugo
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