Isidore Ducasse,
Comte de Lautréamont
(1846-1870)

"La fin du dix-neuvième siècle verra son poète (cependant, au début, il ne doit pas commencer par un chef-d'oeuvre, mais suivre la loi de la nature); il est né sur les rives américaines, à l'embouchure de la Plata, là ou deux peuples, jadis rivaux, s'efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral."

Isidore Ducasse parle du Comte de Lautréamont, c'est à dire de lui-même. A l'époque des "poètes maudits", il est un poète qui, à défaut de recevoir la bénédiction de ses contemporains, a décidé de se bénir lui-même et d'échapper, par la porte du rire, à la mauvaise conscience de son époque.

AVERTISSEMENT: "Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre: quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer, sans danger. Par conséquent, âme timide avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière, et non en avant. "

Deuxième moitié du XIXème: La poésie règle ses comptes dans la souffrance avec une morale qui l'étouffe, dont le bras séculier est la police de Napoléon III, et la justification spirituelle, l'Eglise. Baudelaire, pour se distraire de son ennui, cultive ses "Fleurs du mal"; Rimbaud traverse sa "Saison en Enfer"; Verlaine met sa souffrance en musique; Musset, Vigny et Lamartine psalmodient ou dénoncent la souffrance du poète.

"Tout à coup part un vent étrange et fort, précurseur de la tempête", c'est la voix du ténébreux comte de Lautréamont qui, avec un souffle et un lyrisme qui le firent reconnaitre par Desnos, Michaux, Aragon, Breton, Larbaud comme un des poètes les plus porteurs d'avenir de son époque, met en scène le sinistre et drôlatique vampire Maldoror. Ce faisant, il initie le retour à une poésie moins personnelle, une poésie "détachée" qui peut tout dire - et qu'importe ce qu'elle dit, ce qui compte, c'est de renouer avec la profusion de l'imagination et la liberté de la parole.ART POETIQUE: "Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous."

Pour le fond, Lautréamont ira plus loin qu'on n'avait jamais été dans l'excés et la contradiction, mettant à mal dans, les "Chants de Maldoror", tout ce qui peut-être considéré comme "sacré", puis, "sans se désorienter", se faisant, dans "Les poésies", l'avocat emphatique de la "fameuse idée du bien" [qui doit tant] "aux corps enseignants, conservatoires du juste", [qui retiennent] "les générations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail."
Pour la forme, elle est comme, il le préconisait, inattaquable. Cet homme est maître de son langage.

Quelles sont les cibles privilégiées de Lautréamont? Toutes les manifestations de laissez-aller, d'apitoiement sur soi-même, la complaisance, la lâcheté, la frilosité, le manque de rigueur et toutes les formes de confort intellectuel (l'académisme en est une, une certaine révolte "de bon ton" en est une autre). Il renoue avec un certain courage créateur, et, poétisant comme son contemporain Nietzsche philosophait, "à coup de marteau", il démontre qu'il incombe aussi au génie de détruire les idoles de la pensée.

Blaise Rosnay

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